Chapelle Notre-Dame de Lotivy
Le 6 novembre 1844, une humble et pieuse jeune fille, Marie-Françoise Sonic, qui soignait sa mère malade à Kerhostin, décide un soir d'aller dire une prière devant une statue de la Vierge abritée dans un angle des ruines de la vieille chapelle de Lotivy. Pendant sa prière elle entend très distinctement une voix lui disant en breton: " Ma fille, allez dire de reconstruire cette chapelle en mon nom". Très émue, rentrant au village, elle raconte son aventure. Dans le même temps, L'Abbé Pascal Le Toullec, originaire de Quiberon, a, durant une prière, la pensée obsédante de reconstruire la chapelle de Lotivy. Son projet soulève l'enthousiasme. Il le mènera à bien puisque le 8 septembre 1845, le premier pardon peut se dérouler dans la chapelle reconstruite. La chapelle est dédiée à la Vierge mais elle conserve la petite statue de Saint-Ivy, premier possesseur des lieux.
(Extrait de "Histoire de Quiberon" sur le site du musée de Quiberon)
Pour parler notamment du pardon de cette chapelle, donnons la parole à Yvonne Raguénes qui en parle si bien dans son livre "Mon village en Quiberon" :
"Nous n'avions garde d'oublier le Pardon de Notre Dame de Lotivy qui nous retrouvait chaque huit septembre, fidèles au rendez-vous.
Lotivy ! Charmante petite chapelle, modeste, si modeste, mais tant chère aux cœurs Quiberonnais !
L'implantation d'un oratoire en cet endroit est signalée très tôt dans l'histoire de la Presqu'île. Il y a tout lieu de croire que c'était là, la christianisation d'un lieu sacré du culte Celte, ainsi que le laisse supposer la présence de la fontaine où l'eau ne tarit pas.
Quel Gallois immigré en Armorique, a voulu honorer jusque dans l'exil, le saint patron de sa patrie perdue : David, le neveu du roi Arthur, et a désiré que ce loch, ce lieu, lui soit consacré ?
Passés plus de mille ans, la dévotion à Marie supplanta celle du Saint, sans toutefois l'éliminer. Elle est pleine de charme la traduction littérale du vocable breton de la Chapelle
an Intron Varia Loch lvy !
Notre Dame Marie - du lieu consacré - à lvy
Le jour du Pardon, des groupes animés partaient du Bourg, des villages, les jeunes distançant les vieux, vers l'autre bout de la presqu'île. La route à parcourir n'effrayait personne. On savait encore se servir de ses jambes ! J'ai connu trois femmes du village, Fina Conan, Valentine Bideau et Anne Nicolas, qui, dans leur jeunesse, bien avant que je sois née, allaient à pied, à Hennebont ou à Auray, pour acheter la vache qu'elles ramenaient le lendemain, par la même route, tirant la bête par son "stag" ou se laissait un peu traîner par elle. Etaient-elles chaussées de "boutoucoat" ou de socques ? Les gardaient-elles aux pieds ou faisaient-elles comme ce gars de St Julien, Joseph Conan, qui s'en allait à Vannes, toujours pédestrement, suivre des cours d'hydrographie pour devenir Capitaine... et qui jetait par-dessus son épaule, comme un bissac, attachés par les lacets, les gros souliers à tiges qu'il ne fallait pas trop user ?
Marianne Bideau m'a confié récemment que lorsqu'elle était enfant et allait à la messe par le Vieux Chemin, sa mère lui recommandait de marcher sur l'herbe du bas-côté de la route pour ménager la semelle de ses chaussures ! Comme quoi l'économie était à la base de toute prospérité... en ce temps-là !
Ce temps n'était déjà plus le nôtre et c'est joyeusement que nous usions nos souliers sur la Grand-Route, afin d'arriver avant le départ de la procession. Car il ne fallait pas manquer la procession ! La fête n'eût pas été ressentie comme telle si on avait manqué à ses devoirs religieux.
La Chapelle étant trop petite pour contenir tous les pèlerins - il en venait même de la Grand-Terre - la messe et les vêpres étaient dits au-dehors, dans l'enclos au pied du Christ naïvement sculpté dans la pierre.
Après les cantiques chantés en breton et en français, la foule s'ordonnait de part et d'autre du chemin sinueux, en une longue file : hommes graves devant, pêcheurs et paysans aux mains brunes et calleuses, un peu raides dans leur costume du dimanche, dans leurs vareuses neuves, puis les femmes en coiffe de Quiberon ou de Pont-L'Abbé, marmonnant les interminables "Avé" de leur chapelet; venaient à leur suite les soeurs du St Esprit, si nobles dans leur grande cape blanche, qui disaient les litanies à la gloire de "An Intron Varia Lotivy". Le cantique s'égrenait, mêlant les voix fluettes des femmes aux voix graves des hommes
Notre
Dame de Lotivy
En ce jour trois fois bénie
Demandez pour la presqu'île
Vous dont le cœur est si bon,
Un rayon de Foi qui brille,
L'Espoir, l'Amour, le Pardon
Pour
tous vos bienfaits, ici
Notre cœur vous dit "merci".
A la mère infortunée
Qui vous priait en pleurant,
Vous avez, ô Bien-Aimée
Rendu son unique enfant
Et claquaient les drapeaux fermement maintenus hauts par les bras puissants des pêcheurs, habitués à hisser les lourdes voiles, à manoeuvrer au cabestan, par ceux des paysans, rompus au pénible travail de la charrue et de la herse. Et flottaient les bannières enluminées ! Et se balançaient étrangement dans l'air les petits bateaux portés par quatre mousses, ex-voto patiemment taillés au couteau, polis, peints et gréés par des hommes rudes, en témoignage de reconnaissance à la Vierge qui les avait protégés dans les tourmentes, au Cap Horn peut-être, à moins que ce ne fût dans la mer d'Islande ou dans les brumes des bancs de Terre-Neuve ?
Entourée des officiants en grandes chasubles, étoles brodées et rochets de dentelle, la Vierge clôturait le cortège. Toute dorée, couronnée de perles, elle présentait ses mains ouvertes comme pour en faire glisser les grâces que les fidèles lui quémandaient. Ordinairement placée dans une niche, au-dessus de l'autel de la petite Chapelle, elle n'en descendait qu'une fois l'an : le jour de son Pardon.
Le cortège arrivait enfin sur le petit port, face à l'îlot de Téviec. La foule s'agglutinait sur le quai, devant le havre paisible où se balançaient mollement embarcations, plates et pinasses pimpantes décorées de banderoles aux couleurs vives.
Les drapeaux s'arrêtaient de claquer et, largement balancés de droite à gauche par les porteurs, s'immobilisaient enfin, très bas, en un émouvant salut aux "péris en mer". Une couronne de fleurs jetée au large rappelait aux disparus dans les naufrages qu'ils n'étaient pas oubliés.
Dernières prières, dernières bénédictions ! Le cortège se reformait pour le retour à la Chapelle, non sans avoir laissé derrière lui plus d'un brave au gosier sec ! De tant chanter "Ave Marie Stella" cela donnait soif ! Et le petit café Noé, déjà fréquenté depuis le matin, voyait doubler sa clientèle. Peu à peu, cidre et vin aidant, l'atmosphère s'échauffait et les pieux cantiques cédaient la place aux chansons à boire reprises gaillardement verre en main, par les "pèlerins". La Vierge de Lotivy connaissait ses enfants et elle savait si bien leur pardonner !
Lorsque tout était terminé nous avions la conscience en paix et nous n'étions pas "longs", gars et filles, à nous rendre sur la dune, à l'emplacement de l'actuel supermarché, où manèges et boutiques s'étaient installé la veille, à l'avant d'un enchevêtrement de roulottes bariolées dont les chevaux, dételés et attachés à des piquets, mâchonnaient une maigre pitance en balayant les mouches tenaces à grands coups de leur longue queue. J'aimais rôder autour de ces roulottes, attirée par le mystère de ces gens pour qui tous les chemins étaient les rues de leur village, un village sans commencement ni fin ! Mon regard, furtivement glissé par l'entrebâillement d'un portillon, saisissait dans la pénombre la fulgurance des cuivres astiqués, la luisance de l'émail d'une cuisinière, la blancheur amidonnée de rideaux à pompons... et je ne comprenais pas par quelle magie les bohémiennes, si négligées dans les froufrous de leurs longues jupes délavées, pouvaient maintenir leur intérieur aussi propre, malgré la turbulence de leurs enfants, innombrables et morveux !
Des étalages sur tréteaux offraient aux badauds des bonbons, des surprises, des balles rutilantes, des tourniquets bruyants, des mirlitons nasillards; nous étions hélés au passage par les marchandes en coiffe qui avaient un accent de la Grand-Terre, un accent de Ste-Anne d'Auray. Habituées de tous les pèlerinages de la région, elles faisaient partie du décor, de l'atmosphère Lotivy n'eût pas été Lotivy sans elles !
- Un petit souvenir mesdames ! Un petit souvenir Approchez ! Venez voir !
Avec insistance elles nous présentaient des statuettes de plâtre, St Anne ou Notre-Dame de Lourdes, des chapelets d'argent ou de laiton, des crucifix à bénir, des images pieuses !
A part les traditionnels berlingots que nous nous faisions un devoir de rapporter à nos mémés, ces déballages ne nous intéressaient pas.
Plus loin il y avait les "casse-gueule" ces balançoires où l'on voltigeait au gré du bon ami placé derrière, sur un autre siège. Il vous projetait en l'air et le cœur vous palpitait et l'air vous couinait aux oreilles et le regard se brouillait au-dessus de la foule mouvante !
Cependant, je ne me souviens pas avoir pris grand plaisir à ces jeux-là. Je préférais béer devant les loteries des forains où la magnifique poupée, objet de mes désirs, perdue dans ses froufrous, n'était jamais gagnée. J'observais et n'étais pas si bête de risquer une pièce pour l'un de ces billets qui vous annonçaient, immanquablement, que vous aviez gagné... un bon pour une autre partie !
Je préférais m'offrir, avec les quelques sous que m'avait donnés ma mère et qu'il fallait dépenser à bon escient, une corde à sauter qui durerait, une ballotte enluminée, gage de bonnes parties à faire sur le mur de la maison, ou une grosse part de far ! Tant pis s'il était fait "à l'eau" ! A cet âge on ne pas fait la fine bouche.
L'après-midi tirant à sa fin, la foule devenait moins compacte, les bruits s'atténuaient, l'entrain n'était plus le même. Des groupes s'asseyaient à même l'herbe rase de la falaise, fatigués de traîner de baraque en baraque. Les pas faisaient un bruit mou sur le sol jonché de tickets roses, bleus ou jaunes, de "pochons" qu'on avait fait "tarer" de cosses de cacahuètes, de confettis !
Allons ! Voilà des signes qui ne trompent pas ! La fête est terminée ! Il faut rentrer !
Un dégourdi décrétait le ralliement et nous revenions alors, gars et filles "kazel à kazel" bras-dessus bras-dessous ! Nous passions par St Pierre en chantant les chansons de marins qu'entonnaient nos bons amis, les petits Cols Bleus de l'Ecole des Apprentis Mécaniciens de Lorient. Ils étaient tous farauds dans leur "habit de guignol" comme ils disaient, mais qui leur allait si bien parce que, la veille, leur mère ou leur sœur l'avait mis à leurs justes mesures.
Ah ! ces samedis où mes frères Pierre et Jean pressaient notre soeur de leur retailler le pantalon ou la vareuse, dans l'heure même, parce qu'une bonne amie les attendait au bal, à St Pierre ou à Kerhostin !"